Interview éditée dans son intégralité et en version anglaise dans Fearful Symmetries, Essays and Testimonies around Excision and Circumcision de Chantal Zabus, publiée dans la revue Matatu (Journal for African Culture and Society) aux Editions Rodopi (New York 2008). Pour commander l'ouvrage : http://www.rodopi.nl/senj.asp?BookId=MATATU+37 C. Z. Je pars de cette anecdote du dramaturge et romancier ivoirien Koffi Kwahulé, selon laquelle il a décidé, à l’âge de treize ans de se faire circoncire alors que la circoncision n’est pas pratiquée dans son groupe ethnique. Il parlait de quolibets qui lui étaient adressés en Côte d’Ivoire. Il aurait subi une certaine pression qui fait qu’il voulait se débarrasser de ce vestige féminin qu’est le prépuce, selon lui et des mécanismes qu’il avait intégrés. Après sa circoncision, il se sentait débarrassé de cet élément féminin, de cette odeur qui rappelait le sexe féminin. C’est ce qu’il m’a confié dans une interview qui est maintenant en ligne sur le site d’Africultures (#64, décembre 2005). Est-ce que, selon vous, ce garçon était apte à prendre une telle décision ? D. A. Cela appelle de ma part plusieurs répertoires de réflexion. Tout d’abord, un enfant de treize ans ne me paraît pas accompli pour prendre une telle décision, celle-ci ne peut qu’obéir à une forte pression familiale et sociale. Ensuite cela me renvoie à la perception que les hommes circoncis ont des femmes. Dans les pays où se pratique la circoncision vers sept ou huit ans, le respect, la tendresse, la tolérance ne semblent pas être les valeurs dominantes qui régissent la vie des couples. Il n’est pas étonnant ensuite que leurs rejetons, circoncis à leur tour dans des conditions abominables malgré youyous, danses et gâteaux, se fassent exploser sur les marchés. Sans vouloir faire d’amalgame douteux, je constate qu’en France, ces mêmes adolescents furieux, tabassent leurs professeurs, incendient au grand jour, agressent leur petite amie qui se refuse à eux. Quant à « l’odeur », nous entrons là dans l’intime, le sexuel. Ce monsieur souffre probablement d’une altération psychique ou d’immaturité pour dire qu’en se faisant couper le prépuce il se serait débarrassé de ses odeurs qui lui rappellent le sexe féminin. Dans cet état d’esprit quel type de relation peut-on entretenir avec une femme ? Le corps humain doit être apprécié pour ce qu’il est. C'est ainsi qu’il est émouvant. L’hygiène est une affaire de personne, une question de correction individuelle. Je ne pense pas qu’un homme circoncis soit dispensé de toilette. A moins que, se croyant propre parce que circoncis, il en devienne négligeant.
C. Z. Donc, si un garçon de treize ans, selon vous, ne peut pas prendre cette décision, un bébé de quelques jours est encore plus démuni devant la circoncision néo-natale qui se pratique de manière routinière aux États-Unis sur 60% des nouveaux-nés ? D. A. Je crois que la grandeur américaine tient essentiellement à la dynamique de ses origines, celle de ses premiers arrivants, initialement britanniques, ensuite, scandinaves et germaniques, de rudes aventuriers venus d’Europe, pas circoncis, ça va de soi. Avec eux, l’histoire américaine a été marquée par la pensée occidentale, celle du siècle des Lumières, fondement même de sa Constitution. Puis, au début du XIX e siècle, les migrants juifs fuyant les pogroms antisémites de Russie, d’Europe centrale et, dès les années 20, la montée du nazisme, s’y installent à leur tour. Parmi eux, quantité de personnes influentes pouvant être des médecins, des intellectuels, des scientifiques ou de riches commerçants, disposant de moyens suffisant pour s’installer Outre-Atlantique. Cette population, persécutée sur le continent Européen, s’intégra rapidement à la très protestante société américaine lectrice assidue de la Bible qui érige en commandement la circoncision au huitième jour de la naissance de tout enfant mâle. C’est ainsi que Chrétiens réformés et Juifs, très attachés à ce pacte d’alliance, pouvaient de concert pratiquer la divine opération. Et c’est ce qui arriva : un engouement généralisé ; le glissement de superstitions remontant à Mathusalem en milieu hospitalier ; un rituel converti en principe de santé. Voilà comment le médecin américain s’est fait sorcier… De nos jours, aux Etats-Unis, en raison de la forte pression démographique hispanique et asiatique cette pratique régresse en dépit de publications de recherche et de campagnes tendancieuses visant à l’encourager. Elle serait en effet passée de 95% des nouveaux-nés opérés dans les années soixante, à 60% aujourd’hui. C’est l’inverse qui se passe en France, comme en Belgique d’ailleurs, où le taux de circoncision suit une courbe ascendante depuis, notamment, l’indépendance des pays du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Les données électroniques indiquent que 60 000 circoncisions sont réalisées en France chaque année en milieu hospitalier, soit 20% d’une classe d’âge de garçons, il faut ajouter à cela les circoncisions réalisées à la sauvette à domicile ou à l’occasion d’un retour au pays. On ne dispose en revanche d’aucun chiffre concernant les mutilations de fillettes, aujourd’hui passibles de sanctions rarement appliquées. Vous me parliez de l’Afrique et des Etats-Unis, j’ose établir un parallèle : est-il inconvenant d’insinuer que le lobby afro-américain n’a pas su promouvoir l’excision comme d’autres ont pu habilement le faire avec la circoncision ? Il est probable que la circoncision serait réformée depuis belle lurette si, comme l’excision, elle n’avait été qu’Africaine. C. Z. En effet, je pense au Kénya, dans les années trente, lorsque les missionnaires britanniques protestants sont venus avec la Bible, ils ont considéré l’excision comme étant barbare chez les Kikuyus, les Nandis, etc, mais en revanche, ils n’ont pas proscrit la circoncision. Donc, il y avait déjà une asymétrie au départ et les groupes concernés ne comprenaient pas comment une pratique comme l’excision pouvait être considérée barbare alors que la circoncision ne l’était pas, d’une manière tout à fait asymétrique puisque les deux pratiques étaient désignées par le même terme. D. A. Et pour cause, la circoncision figure en bonne place dans la Bible que brandissaient les missionnaires. Mais au-delà de ce constat, il faut bien voir que partout où il y a excision, il y a circoncision. Et là il n’est plus question d’asymétrie mais bien d’une parfaite symétrie. Je pense que la question des mutilations sexuelles, qu’elles soient masculines ou féminines, était éludée par les missionnaires qui ont été le plus souvent d’une neutralité coupable à ce sujet. L’excision pas plus que la circoncision n’a été combattue. On peut dire de ce point de vue que ces deux rituels païens ont été tolérés, ils ont bénéficié d’un égal traitement. Rappelons que les missionnaires protestants et catholiques d’Afrique n’étaient pas circoncis. Une bonne raison de ne pas s’étendre sur un sujet qui les disqualifiait au regard des canons bibliques. A quoi bon tendre à ses ouailles un bâton pour se faire battre… C. Z. Puisqu’on évoque les textes sacrés, où, comme le dit le spécialiste suisse de droit comparé Sami Al-Deeb Abu-Sahlieh, ces « sacrés textes, » en se moquant de l’autorité du texte sacré, est-ce que vous pensez, comme lui, qu’il faudrait réviser nos perceptions des textes sacrés ? Est-ce que ce n’est pas dangereux dans le sens où cela remet en question tous les systèmes de pensée religieux qui reposent sur des rites qui datent de la Genèse, qui sont inscrits dans ces fameux textes sacrés ? Est-ce que ce n’est pas une remise en question de la religion ? D. A. C’est surtout à une remise en question de la circoncision qu’il conviendrait de s’attacher en évitant de froisser les susceptibilités et il y a du boulot. Avec la circoncision pseudo hygiéniste, pseudo religieuse, la transe se substitue à la raison, on patauge dans l’irrationnel, le magique, le fanatisme. Maintenant, mettre à feu et à sang, au nom de l’émancipation des mentalités, il faut y réfléchir. Oui à l’amélioration des conduites ; non au chaos ! Il est vrai que le monde peut ressembler à un asile à l’envers, les fous y portent la blouse blanche et les soignants la camisole... bref, le cauchemar ! C. Z. Puisque nous avons évoqué Sami Al-Deeb Abu-Sahlieh, à qui vous faites la part belle dans votre documentaire Silence, on coupe !, est-ce que vous pensez, comme lui, qu’il y a « complot du silence » autour de la circoncision masculine, qui est d’ailleurs le sous-titre de son livre Circoncision, publié chez L’Harmattan en 2003 ? Sami Al-Deeb Abu-Sahlieh D. A. Oui, si j’en juge par les péripéties qui ont jalonné le tournage de mon film et les difficultés à le financer. A de rares exceptions près, pas une personnalité expressément sollicitée n’a accepté d’être interviewée sur la circoncision, se montrant plus diserte sur les mutilations féminines. Il m’a fallu monter au créneau. J’ai du faire des micro-trottoirs caméra en main, le siège des institutions, des centres de conférences, des foires, les manifs pour cueillir des réactions spontanées auprès de leaders d’opinion ou de simples citoyens (1). Ensuite, lorsque vous questionnez, il faut éviter les réponses du type « je ne suis pas compétent ». Les gens sont plus enclins à se prononcer sur le prix de la baguette ou la couleur du ciel que sur ce sujet. Je suis étonné que l’on minimise à ce point un phénomène qui touche un jeune français sur cinq, porte atteinte au droit de la personne, organise le communautarisme, marque le recul des valeurs fondatrices de notre société. Contester la circoncision, c’est risquer la crucifixion. En effet, il y a complot du silence ; le sujet est tabou. La réalité, c’est que nous vivons une guerre qui ne porte pas son nom, une guerre larvée si vous préférez, pour combien de temps encore… C. Z. En fait, j’avais invité Malek Chebel à une conférence que j’organisais sur le sujet de la circoncision et de l’excision mais il ne m’a jamais répondu. Par ailleurs, j’ai remarqué que, dans votre documentaire, vous l’avez interviewé. Est-ce qu’il serait revenu sur sa position ? Malek Chebel
D. A. L’homme est avenant mais son livre n’est pas neutre, il penche sournoisement en faveur de la circoncision. J’ai la vanité de penser que nos échanges ont fait évoluer ses conceptions. C’est en tout cas ce qui apparaît dans les séquences que j’ai retenu et je m’en félicite. C. Z. Et la présence dans votre documentaire de la célèbre avocate Linda Curiel-Weil, qui a défendu des causes sur l’excision, qui s’est battue contre l’excision et qui a entre-temps avalisé le livre de Sami Al-deeb Abu-Sahlieh Circoncision masculine, circoncision féminine, est-ce que cela veut dire qu’elle avalise votre projet également. Est-ce qu’elle en est venue de l’excision à la circoncision ? Parce qu’en fait, peu de féministes le font. Peu de féministes, en général, discutent de la circoncision. Je suis féministe moi-même mais certaines féministes ne voient pas de similarité entre les deux pratiques et on pourrait même dire que cela affaiblit le débat. Maître Linda Curiel-Weil D. A. Encore une fois, je ne voudrais pas me flatter de contribuer à élargir le débat. Dans Silence, on coupe ! la dénonciation de la circoncision occupe une place centrale. Les féministes ne doivent pas dissocier circoncision et excision dans leur combat contre les mutilations génitales infantiles, si elles ne veulent pas être suspectées de poursuivre un dessein chimérique : la quête du phallus perdu. Quand bien même les conséquences de ces deux pratiques seraient incomparables, leur combat doit porter sur des principes et là il n’est plus question d’échelle de gravité. C. Z. Et chez vous-même, est-ce qu’il y a un investissement autobiographique dans votre documentaire. Comment y êtes-vous arrivé ? Est-ce que c’était un long cheminement ? Est-ce que vous êtes circoncis ? D. A. C’est un engagement au long cours, j’y travaille depuis plusieurs années ; entre les intentions et le film fini, il s’est écoulé une bonne dizaine d’années. Je suis né dans une famille d’enseignants peu concernés par ces pratiques. Le dogme au-dessous de la ceinture ne nous atteignait pas. J’ai vécu dans un environnement culturel et familial serein. Nous étions bien dans notre peau si vous voulez tout savoir… C. Z. Je sais qu’avec votre film, vous avez l’ambition d’aller plus loin. Est-ce que vous vous inscrivez dans un mouvement plus large qui entrerait en dialogue avec des organismes comme NOCIRC, NOHARMM, DOC ? D. A. Je serais évidemment ravi que ce film fasse date, qu’il fasse parler de lui, tant dans le monde associatif qu’auprès des distributeurs, des exploitants de salles et des chaînes de télévision. Tout ce qui permettra à ce film d’exister, d’être vu, discuté, éreinté même, me contentera. Les films ont deux fonctions : distraire et faire reculer la barbarie. En cela, je pense que « Silence, on coupe ! » a sa place. C. Z. Je repense à certaines scènes assez violentes qui pourraient heurter un public plus large, disons. Il y a évidemment des scènes d’excision et de circoncision d’enfants. Mais il y a également un clip où quelqu’un se fait trancher la gorge. Est-ce que vous pourriez commenter cette scène d’une rare violence ? D. A. Oui, ces plans ont été capturés sur Internet. Se sont les derniers instants de la vie d’un jeune routard japonais filmé par ses geôliers quelque part en Iraq. Le supplicié est entouré par des djihadistes cagoulés, en arme, sur un fond de versets coraniques. Les assassins s’acharnent sur cet innocent avec une violence extrême. Ils l’égorgent comme un mouton le jour de l’Aïd al Kebir, sans répugnance, sans conscience, sans la moindre humanité. Oui, pour moi, l’égorgement, comme la décollation, ne sont pas sans rapport avec les traumatismes laissés par ces circoncisions d’enfants musulmans d’âge relativement avancé généralement réalisées à vif. Malek Chebel établi fort opportunément un lien entre violence et circoncision, évoquant, je le cite, « le règlement d’un passif ». C’est pourquoi j’ai cru utile au débat de plaquer sur ces images les propos en voix off du psychanalyste et anthropologue. Cette séquence, qui provoque une poussée d’adrénaline, indigne le spectateur qui refuse de faire le rapprochement. Sans vouloir prêter à tous les circoncis des comportements odieux, j’ai la conviction de toucher là au cœur du sujet. C. Z. Je pense à des cas bien concrets comme celui de Fauziya Kassindja, cette Togolaise qui a fui l’excision ou ce qu’on appelle kakia dans le Nord du Togo et qui, demandant l’asile, s’est retrouvée aux Etats-Unis, incarcérée dans une prison. Les médias américains lui ont finalement prêté attention en 1996 ; elle a d’ailleurs écrit une autobiographie « Do They Hear You when You Cry ? » (1998), littéralement Est-ce qu’ils vous entendent quand vous pleurez ? Finalement, elle a reçu le droit d’asile et cela a suscité pas mal de débat. Est-ce que vous envisageriez le droit à l’asile pour quelqu’un qui fuirait la circoncision (masculine) dans son groupe ethnique ou dans son pays, comme ce jeune turc qui a fui le régime militaire turc, qui lui imposait la circoncision, et qui a été recueilli en Allemagne. C’est l’exemple que Sami Al-Deeb Abu-Sahlieh donne. Comment vous situez-vous par rapport à cela ? D. A. Je crois qu’en effet, partant du principe que la circoncision est une atteinte au droit inaliénable à disposer de son corps, toute personne menacée dans son intégrité devrait pouvoir prétendre au droit d’asile. Pourquoi en serait-il autrement si on estime à juste titre être persécuté dans son pays au nom des traditions. L’argument me semble recevable, reste à savoir comment mettre en application de telles dispositions ? Qui pourrait en bénéficier ? Quel traitement réserver aux personnes déjà opérées ? Un projet de loi prohibant clairement la circoncision devrait-il être préalablement adopté ? Cela paraît irréaliste, d’autant qu’en France, « patrie des libertés », je n’entends pas de voix s’élever contre la circoncision. Silence ! Il serait plus charitable de conseiller au requérant de retourner mener campagne chez lui en le persuadant qu’un attribut viril généreusement dimensionné, bien que circoncis, vaut peut-être mieux qu’un tout petit zizi qui ne l’est pas… (rire) Veut-on voir frapper aux portes de l’Europe tous les promis à la circoncision de la planète et débouter du droit d’asile tous ceux qui ne voudraient pas y renoncer ? Vous imaginez le tollé… Il faudrait voir au cas par cas. C. Z. C’est ce que les Etats-Unis font pour l’excision ; ils voient au cas par cas. Je pense maintenant à l’idéologie derrière votre documentaire. Est-ce que vous vous démarquez d’autres documentaires sur la circoncision et je pense en particulier à Nurith Aviv qui a fait ce documentaire pour ARTE en 2000, que j’ai vu, moi aussi, mais où la prise de position est tout à fait différente. Est-ce que vous avez vu ce documentaire ? D. A. Oui, j’en garde un souvenir plutôt mitigé. Il est vrai que critiquer la circoncision, c’est s’exposer à la vindicte quasi générale. Le risque est d’être soupçonné d’antisémitisme, d’anti-ceci, d’anti-cela. Pourtant, la défense des droits de l’enfant devrait dépasser tous les clivages qu’ils soient religieux ou politiques. Avec « Silence, on coupe ! » j’ai travaillé dans un esprit de simple constat. C’est l’interprétation du film qui est idéologique. Le rôle de l’auteur devrait se limiter à poser le débat en toute objectivité sans s’y compromettre. Mais pour en revenir au documentaire de Nurith Aviv, je l’ai trouvé consensuel, soucieux de ne pas déranger. On y voit une circoncision réalisée par un rabbin où les pleurs de l’enfant violenté sont couverts au montage par une douce mélodie, c’est à mon sens de la manipulation. Bref, j’ai trouvé ce film plus prosélyte que talentueux. Rappelons tout de même que la chaîne franco-allemande ARTE l’a diffusé en 2001 enregistrant, sauf erreur, un taux d’audience de 7,5% soit 3,3 millions de téléspectateurs. Une prouesse pour un programme ni fait ni à faire... C. Z. J’ai revu le film de Nurith Aviv récemment et elle ne parle pas de rites alternatifs, ce qui est un phénomène relativement récent en Afrique et dans les milieux judaïques américains où le berit shalom remplacerait le berit milah et impliquerait le rite (de paix) mais sans la coupure. Avez-vous songé à cette option, le rite alternatif, afin de ne pas ôter le rite à la communauté afin qu’elle puisse survivre mais le remplacer par autre chose ? C’est peut-être moins radical ? D. A. Pourquoi ne pas couper une carotte ou une banane et faire la fête... au champagne ! Un jour férié peut-être aussi… (rires) C. Z. (rires) Lorsque l’on parle de circoncision, on parle en général de la circoncision de l’enfant, du nouveau-né mais il y a également des circoncisions qui font plutôt office de rites de passage chez l’adolescent pubescent. Je me rappelle avoir parlé à des adolescents déjà bien avancés—puisqu’ils avaient entre vingt et vingt-cinq ans—à New York, où je faisais un séminaire sur l’excision et ils me disaient être en faveur de l’abolition du rite mais ils s’inquiétaient de ne pas avoir de rite de passage à l’adolescence et, de manière plus générale, dans nos sociétés, où on apprend le sexe sur le tas. Est-ce qu’un adolescent a besoin de rites ? L’absence de rites, en Afrique par exemple et ailleurs, ne ferait-elle pas s’écrouler tout l’identitaire de l’adolescent ? D. A. Les commémorations peuvent laisser de bons souvenirs, il en faut, y compris celles qui marquent les grandes étapes de la vie organique : les premières dents, les premiers poils, les premiers émois, que sais-je encore ?... L’existence est jalonnée par ces temps forts, grands rendez-vous de la vie. Certains correspondent au cadran de notre horloge biologique, d’autres au calendrier de notre histoire, mais un tri s’impose. Il faut être bien crédule pour croire que notre identité tient à ces rites. La personnalité ne peut s’épanouir que dans la liberté, y compris celle de rompre avec le poids des traditions. Il suffit pour s’en convaincre de considérer, avec bienveillance certes, mais sans complaisance, ces hommes et de ces femmes qui tardent à révéler leurs aptitudes à fonder des sociétés stables et hospitalières, je pense en particulier à l’Afrique, au Moyen-Orient et à l’Asie centrale où sévissent les circonciseurs et dans une moindre mesure les exciseurs. C’est par la renonciation à ces pratiques d’un autre âge que nous bâtirons ensemble une civilisation universelle apaisée. Nos intellectuels seraient bien avisés de promouvoir l’identité des peuples d’Europe, non circoncis, avec autant d’exaltation qu’ils le font pour ces cultures émergentes. Mais il est de bon ton, aujourd’hui, de dénigrer l’ancienne puissance coloniale aux portes de laquelle on se bouscule. Ainsi, sans prendre garde, nous voyons s’installer en France des populations qui reproduisent des modes de vie cause de leur faillite puis de leur exil. Comment imaginer que des gens inadaptés chez eux puissent s’adapter chez nous sans s’amender ? L’expérience montre bien que la cohabitation de populations tenantes de la circoncision avec des peuples qui l’ignorent est source de désolation : Bosnie, Kosovo, Cachemire, Chypre, Tchétchénie, Liban, Timor, sans parler du génocide arménien et de l’holocauste. Le différent territorial israélo-palestinien résolu, verrons-nous un jour, côte à côte, Américains, Turcs, Israéliens et Arabes circoncis unis contre le reste du monde impie, en un mot incirconcis ? C. Z. Est-ce que vous voudriez dès lors avancer que, si 60 % de la population américaine est circoncise, cela expliquerait la violence américaine ? D. A. Qu’une puissance tel que les Etats-Unis soit capable, la guerre pratiquement gagnée, d’atomiser à quelques jours d’intervalle deux villes japonaises me paraît indigne d’un grand pays civilisé. Je considère, en effet, que la barbarie n’est pas étrangère à une certaine réalité américaine. C. Z. Donc, vraiment, quand on parle de circoncision masculine maintenant et lorsque vous le faites, vous, vous élargissez le débat et lui donnez une dimension internationale à travers les guerres de religion et les rapports de force entre les empires… (rires) D. A. Je pense qu’il y a des situations qui portent en elles les germes de la guerre, de ces conflits sans réconciliation possible où la trêve ne fait jamais cesser la guerre, et il y a les autres, les guerres de conquête, 14/18 par exemple qui relèvent d’un goût funeste pour l’art de la guerre codifié par des conventions. 39/45 marque déjà une étape. La circoncision était-elle un facteur aggravant dans le processus d’extermination des communautés juives d’Europe ? Je suis tenté de le croire. C. Z. J’aimerais pour conclure revenir un peu en arrière sur la question des rites. Il y a une résurgence de marquages de la peau, notamment dans les sociétés occidentales, post-industrielles, dans les centres urbains où les jeunes surtout, ce qu’on appelle en anglais les modern primitives, qui se marquent de plus en plus pour se démarquer. Je pense non seulement au tatouage mais également aux marquages du corps, comme les implants, les piercings qui peuvent aller très loin. Est-ce que vous voyez, par exemple, une relation entre la disparition progressive de l’excision et de la circoncision et la résurgence de ces rites urbains ? D. A. Je n’observe pas de recul, l’excision prospère toujours et la circoncision se répand dans notre société. En revanche on parle beaucoup de respect de l’Autre, mais n’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ? Moi, je préfère au simili respect des circonciseurs la sagesse de ceux qui préservent l’indispensable intégrité du corps humain. Les piercings, tatouages, implants et autres marquages, montrent que le corps est en réalité de moins en moins respecté. Il est rabaissé au rang de prototype, un peu comme une carrosserie parée d’autocollants. Il n’est plus qu’un habit qui permet la réunion communautaire. Le corps est agressé au nom du conformisme social et en même temps, paradoxalement, avec ces pratiques il s’agit moins de partager que d’exclure. Le problème c’est que la force de conviction de ceux qui s’y adonnent l’emporte sur le silence assourdissant de tous les autres. Notre apparence, c’est un peu notre « fond qui remonte à la surface » aurait pu dire Victor Hugo. Les magiciens de la lame m’inspirent méfiance et pitié. C. Z. Le danger n’est-il pas alors une globalisation, une mondialisation des mœurs ? On serait tous parfaits et intacts ? D. A. Tout comme la biodiversité est à long terme menacée par les croisements, les identités le sont par le métissage des cultures. C’est l’enjeu du troisième millénaire. C. Z. Je crois que nous avons fait le tour de la question à moins que vous n’ayez quelque chose à ajouter. D. A. Si mon film soulève de nombreuses questions et tentatives de réponses, je voudrais souligner qu’il traite avant tout du Droit de l’Enfant. C. Z. D’accord. Il me reste à vous remercier, Dominique Arnaud, d’être venu ici, à la Bibliothèque Nationale pour nous parler de ce sujet fort passionnant, qu’est la circoncision, qui, selon vous, a une dimension internationale. Et dans ce sens, je me réjouis de voir ce que vous allez réaliser après ce film « Silence, on coupe ! ». Encore une fois, je vous remercie.
D. A. C’est moi qui vous remercie. Paris, Bibliothèque François Mitterrand, le 3 mars 2006 (1) Par ordre d’apparition, Pr. Roger Henrion Académie nationale de Médecine, Jean Leonetti médecin-député U.M.P., Pr. Jean-Paul Escande dermatologue, Dr. Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh juriste, Siné dessinateur de presse, élève d’une école rabbinique, André Glucksmann philosophe, Jean-Thomas Nordmann député européen, Kabbaj Mohamed El Mustapha Académie royale du Maroc, Linda Weil-Curiel avocate, Malek Chebel anthropologue-psychanaliste, Père Georges Morand chanoine de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Nadeije Laneyrie-Dagen professeur d’Histoire de l’Art à l’Ecole Normale Supérieure de Paris, Alain Soral écrivain-essayiste, Eddy Labidi Association d’ailleurs ou d’ici mais ensemble A.I.M.E., Dr. Emmanuelle Piet médecin départemental de protection maternelle infantile, Hubert Reeves astrophysicien, Huguette Bouchardeau ancien ministre, Michel Serres philosophe, Christian Bourgois éditeur, Jean d’Ormesson écrivain-académicien, Michel Quint écrivain, François Fejtö journaliste-écrivain, Dr. Jean-Dominique Doublet chirurgien urologue, Patrick Labaune député U.M.P., Dr. Gérard Zwang chirurgien urologue, Dr. Patrick Pelloux médecin urgentiste, Dr. Dominique Egasse chirurgien dermatologue, Frédéric Encel géopolitologue, stewards d’Air Tahiti Nui, Mr. X juriste, Oussama Ksila association A.I.M.E., collégiennes anonymes, Sarra Ghorbal association A.I.M.E., Michel Field journaliste, François Sauvadet député U.D.F., Michel Onfray philosophe, Stéphanie le Roy avocat, Julien Dray député socialiste, Cyrine Saïeb avocat, Jean-Paul Fitoussi professeur à l’Ecole supérieure des Sciences politiques de Paris, Wagihe El Halouat étudiant, Alain Bauer Grand Orient de France, Maxime Gremetz député communiste, Charles-Elie Couture chanteur, Pr. Pierre Guichard Université Lyon II, jeune femme musulmane, Eric P. Ingala électricien-poète, Riad Sattouf auteur de B.D., Roland Madura journaliste ex-otage. |